Elisabeth Weissman est journaliste, essayiste et intervient régulièrement à l’EMI dans les formations au journalisme, notamment sur l’enquête. Elle revient ici sur le livre publié par Jean Stern aux éditions La Fabrique : Les patrons de la presse nationale, tous mauvais ! Dur réquisitoire que le livre de Jean Stern sur l’action des patrons de presse et autres « journalistes-managers ». Où l’on comprend comment la vocation d’une presse libre, indépendante et curieuse n’est pas d’être aux mains des grands patrons du CAC 40. « Les patrons de la presse nationale : Tous mauvais ! » nous prévient d’emblée Jean Stern dans son livre d’enquête . La messe est dite. Mais elle semble bien en dessous de la réalité. Car si l’on s’en tient aux conclusions du livre, le verdict est bien plus grave encore : les patrons se présenteraient plutôt comme des fossoyeurs. Telle est en tout cas la thèse de cet ancien de Libé et de La tribune, aujourd’hui directeur pédagogique de l’EMI, qui nous démontre comment les industriels de l’armement, du luxe et de la communication ont asphyxié nos grands titres tout en faisant croire qu’ils étaient entrain de les sauver. Ils s’appellent Lagardère, Pinault, Arnault, Dassault, Rothschild, Bolloré, Niel, Pigasse. Trente ans d’irrésistible ascension des patrons du CAC 40 au sommet du monde de l’information, avec la bénédiction des « politiques » de droite, comme de gauche. Mais au péril de la liberté d’informer. En fait, ces milliardaires n’aiment pas les journaux. Ils s’en servent, leur assignant une triple fonction : financière comme « variable d’ajustement fiscal », de prestige comme « accessoires de puissance », idéologique via l’organisation de la diffusion d’une seule voix, la leur, celle des dominants. Ils infligent à la presse le pouvoir de l’argent et ses effets mortifères : filouterie, affairisme, folie des grandeurs. Et inconséquences/incompétences au passage. Voir comment ceux que Jean Stern appelle les journalistes-managers, Colombani et July, ont sonné le glas des deux plus beaux fleurons de notre presse nationale Le monde et Libération. «« En fait, ces milliardaires n’aiment pas les journaux. »» Et si les lecteurs fuient au rythme de la fermeture des points de vente, c’est en partie parce qu’ils sont las de lire une presse insipide, monocorde et nécessiteuse. Car si l’on en croit les analystes sérieux de la crise de la presse, c’est la valeur ajoutée du contenu éditorial qui conditionne la survie de la presse. C’est bien parce que le New York Times a maintenu un effort constant sur l’investissement et les contenus qu’il a gagné des lecteurs. Le contraire même de ce que font les patrons en France, obsédés qu’ils sont par la réduction des dépenses, étant entendu qu’ils traitent l’information comme n’importe quelle autre marchandise à produire à bas coûts : tailler dans les effectifs, réduire la voilure, précariser, supprimer les piges, faire pression. Résultat : une presse atone, et qui se laisse couper les ailes. Les échos, propriété de Bernard Arnault, est le seul quotidien à avoir ignoré l’affaire de l’exil fiscal en Belgique de son patron. Et si ce n’est un contrôle direct qui est effectué sur les journalistes (aucun patron ne tient la main des journalistes du Monde et de Libération) ce sont les moyens matériels qui pèsent de fait sur la qualité des contenus. Plus le temps d’enquêter, d’aller sur le terrain, de fouiller, de prendre du temps. Bref, de faire son métier. Jean Stern en vient à regretter la docilité de la profession. Il semblerait que Xavier Niel (Le Monde) l’ait bien compris : « Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix »… Elisabeth Weissman
– Les patrons de la presse nationale, tous mauvais ! aux éditions La Fabrique